La déviation d'Yèvres

LA DEVIATION D'YEVRES

La route d’Orléans à Saint-Malo que nous appelons de nos jours la D 955 n’a pas toujours eu, à l’approche du bourg, la configuration que nous lui connaissons actuellement.
Tour à tour Voie Royale d’Orléans à Saint-Malo, Voie impériale N° 155 sous Napoléon III, cette route passait par la rue Narcisse Billard, traversait l’Ozanne par un pont aujourd’hui disparu.
Si on regarde le sud à partir de la place de l’Eglise, il franchissait l’Ozanne au niveau de la descente à la rivière, à gauche du pont actuel.
Pour accéder à la place de l’Eglise la pente était très importante et cette portion de route, de l’ancien pont à la place, était appelée « la rampe d’Yèvres ».
La route d’Orléans à Saint-Malo était classée voie de grande communication au XIX° siècle. Le roulage, le voiturage, en passant dans le bourg d’Yèvres, faisaient vivre le commerce local.
En 1846, le Conseil Municipal eut vent d’un projet tendant à contourner le bourg et réagit immédiatement :
« Il est question que M. l’Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées se dispose d’éviter le pont d’Yèvres et de faire passer la route d’Orléans à Saint-Malo à gauche du pays d’Yèvres.Si ce projet devait recevoir son exécution, le pays, qui précédemment possédait notaire, percepteur et enfin possède le passage de la dite route se trouverait entièrement désert et réduit à une mendicité complète puisque les aubergistes, marchands, maréchaux, charrons, boulangers etc… ne profiteraient plus du passage des voyageurs et des voituriers.» (Délibération du 10 mai 1846)

En 1851 le Conseil émit le vœu « que la route ne soit pas changée dans sa direction actuelle mais que la côte en soit rendue plus douce au moyen de déblais et de remblais. » Il ajouta :
-« En faisant passer la route à côté du bourg, c’est le réduire à un véritable hameau.
-Ce serait uniquement pour favoriser la ville de Brou, au préjudice du bourg d’Yèvres.
-La ville de Brou est déjà favorisée par deux chemins de grande communication et un chemin de moyenne communication pour lesquels chaque année la commune d’Yèvres contribue pour les trois quarts du montant des centimes additionnels et de ses prestations, sans en retirer des avantages proportionnels, Brou profitant seul de ces lignes vicinales. -Le nouveau tracé détournerait de 6 km la circulation de la route de Saint-Malo avec la route de Chartres…, il faudrait nécessairement passer par Brou pour aller de Châteaudun à Illiers. Le Conseil Municipal prie M. le Préfet et le Conseil Général de ne pas donner suite au trajet proposé par les Ponts et Chaussées. »
( 2 août 1851)
Existait-il à l’époque une certaine rivalité entre les communes d’Yèvres et Brou ? La lecture de ces quelques lignes pourrait le laisser supposer…
La déviation devait entraîner la démolition du pont et la construction d’un pont neuf.
En 1853 le Conseil Municipal fait remarquer « que le nouveau pont serait construit à l’endroit ou la rivière est la plus profonde et qu’il serait peut-être impossible de trouver le solide et qu’enfin le coût serait bien moindre en consolidant le pont existant. »(19 juin 1853)
Un avant-projet fut soumis à enquête publique du 6 juin au 28 juin 1853.
Il s’agissait soit de restaurer le pont et de maintenir le passage de la Voie Impériale N°155 dans le bourg, soit de contourner le bourg et de construire un nouveau pont.
Une pétition en faveur du maintien du tracé recueillit 170 signatures et fut adressée à la Sous-Préfecture de Châteaudun , pour être versée au dossier, par Jean Campagne Maire d’Yèvres, le 26 juin.

La commission d’enquête, composée de 7 membres, présidée par le Comte VALLES, membre du Conseil Général, Maire de Châtillon, se réunit en Sous-Préfecture le 30 juin 1853 et, à UNE voix de majorité, se prononça pour le contournement du bourg.
Le Conseil Municipal ne baissa pas les bras. Dès le 10 août, dans une lettre adressée au Préfet, signée par les membres du Conseil, l’Instituteur (M. Richard) et le Curé (M. Delpuech)
« les soussignés supplient l’autorité administrative de bien vouloir prendre en considération la réclamation unanime de la commune d’Yèvres. »
Le 13 octobre 1853, le Maire écrivit à l’Empereur pour obtenir le maintien du passage de la route dans le bourg.

… « pleins de confiance en votre bonté et en votre justice, nous espérons que Votre Majesté daignera accorder ce bienfait à un pays déshérité sous tous les rapports et qui n’a pour plaider en sa faveur que la justesse de sa cause.

Sire, le très humble et très dévoué serviteur. »
Signé Campagne
Hélas, le décret impérial du 17 février 1854 entérina la décision de la commission d’enquête : la Voie Impériale 155 allait donc emprunter le tracé que nous connaissons aujourd’hui, tracé qui contourne le bourg et franchit l’Ozanne par le pont à 2 arches actuel. On essaya encore en 1856 par l’intermédiaire de quelques notables locaux d’infléchir la décision. Une supplique fut même adressée au Prince Impérial, fils de l’Empereur, le 27 mars 1856. (Le Prince était né le 16 mars 1856 !).
« Nous nous sommes adressés à toutes les autorités, nous avons frappé à toutes les portes…
Nous avons recours à vous, enfant bien aimé, pour vous prier de solliciter auprès de votre honoré père, par l’entremise de votre illustre et bienfaisante mère, la faveur du maintien du passage de la route en question par le chef-lieu de notre commune. »

Suivent des signatures dont celle d’A.Godefroy, Maire.
Il y a quelque chose de pathétique dans cette volonté sans faille d’obtenir satisfaction.
L’Ingénieur des Ponts et Chaussées mettra un point final aux réclamations des élus d’Yèvres.
« De très longues discussions ont déjà eu lieu et les décisions ayant été prises, la Commune d’Yèvres ne me paraît plus pouvoir être admise à soulever à chaque instant de nouvelles questions de tracé. »

 

 

   

 

 

Le Conseil en 1860 tenta un dernier baroud d’honneur en revendiquant la propriété de l’ancien pont « construit il y a environ 300 ans. »
Le 9 mai 1861, le Sous-Préfet trancha :« Le pont qui appartient incontestablement à l’Etat, propriétaire de la Route Impériale N° 155, ne pourrait être conservé sans nuire à l’écoulement des eaux. Il sera démoli. Les matériaux provenant de la démolition serviront d’abord au pont neuf, le surplus sera vendu au profit de l’Etat. »
L’examen du plan parcellaire de 1857 montre qu’en démolissant l’ancien pont la portion de route entre ce pont et la place de l’église n’avait plus guère d’utilité puisqu’on ne pouvait plus accéder à la Voie Impériale 155.
Le Conseil souhaitait rétablir un trajet le plus court possible entre la place et le nouveau pont afin de rejoindre la 155.
Fin 1863 il fut décidé de créer une nouvelle route partant du pont neuf et se raccordant partiellement à l’ancienne voie jusqu’à la place de l’Eglise. C’est la rue du Pont que nous connaissons aujourd’hui.
Le dénivelé entre le nouveau pont et la place était très important et il y eut lieu de rectifier la pente connue sous le nom de « la rampe d’Yèvres ».

Il fut procédé au remblai de la rampe jusqu’à l’actuelle maison sise 17 place de l’Eglise et au déblai de la place afin d’adoucir la pente. Le déblaiement de la place fut important et fit apparaître très largement les fondations de l’église côté sud.
Comme on peut en juger, la déviation d’Yèvres fit en son temps couler beaucoup d’encre : la raison d’Etat l’emporta malgré l’opiniâtreté des élus locaux.
Petite consolation : en 1863 le surplus de pierres issu de la démolition du « vieux » pont permit de rajouter quelques marches permettant d’accéder à l’église par le « chapiteriau » côté sud. Il fallut cependant, en compensation, fournir  « un cube de matériaux concassés équivalent »  L’Etat ne fait pas de cadeau !
De nos jours, la traversée des villes et villages par des véhicules de plus en plus nombreux pose des problèmes de sécurité et génère des nuisances pour les populations concernées.Les déviations sont le plus souvent les bienvenues.
Pourrions-nous imaginer en 2006 voitures, camions empruntant jour et nuit la rue Narcisse Billard dans les deux sens ? Sans doute demanderions nous avec insistance la création de la déviation dont nos aînés ne voulaient pas !

 

 


Le nouveau pont
 
Rue du Pont